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L'éloge de la tranquillité ou comment s'adapter au rythme du patient en fin de vie ?

photo alric

par Jérome Alric

Jérôme Alric est psychologue (docteur en psychologie), psychanalyste. Il exerce dans le département des soins palliatifs au CHRU de Montpellier. Il est chargé d'enseignement aux universités de Montpellier I, II, Nîmes-Vauban et Paris-Diderot. Membre de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs), il co-dirige les DU et DIU d'Accompagnement et de Soins palliatifs à Montpellier I. Il est membre fondateur d'Espace analytique Languedoc. 

Contenu :

Le patient en fin de vie, à proximité de sa mort, tient fréquemment des propos contradictoires. D’un jour à l’autre, sa parole peut changer de manière importante et il arrive que le sujet se projette dans des choses qui ne seront assurément pas réalisables… Certains auteurs contemporains avancent même que plus de 90 % des malades en fin de vie seraient en proie à du Délirium [1,2]. Cette dynamique déstabilise ceux qui l’entourent, ceux qui le soignent.

Comment se positionner ? Sur quel modèle s’appuyer pour accompagner ?
Le modèle d’Elizabeth Kübler-Ross et ses célèbres phases de deuil est le modèle dominant dans le monde palliatif ; il a comme objectif « d’aider le sujet à accepter sa mort » [3]. Cette théorie a pour finalité d’aider le sujet à accepter son destin en lui permettant d’accéder au stade de l’acceptation, synonyme d’une fin de vie apaisée. Homogène avec les logiques d’anticipation et de préparation psychologique à sa mort, ce modèle promeut un Sujet raisonnable, donc « capable de faire le deuil de soi-même avant de mourir » [4].
Mais l’accompagnement palliatif doit-il forcément avoir une visée d’adaptation à la réalité concrète, c’est-à-dire à la réalité de la mort qui se profile ?
Le sujet doit-il forcément réaliser les choses avant de mourir ?
Y-a-t-il plus de grandeur à consentir à la mort ou à y résister ? A l’accepter ou à se cabrer ?
Peut-on vraiment se préparer à « sa » mort ?
Le modèle de l’Eloge de la Tranquillité [5] tente de faire un pas de côté vis-à-vis de ce discours médico-soignant palliatif contemporain normatif. Nous considérons qu’il n’est pas souhaitable de vouloir à tout crin faire cheminer le sujet jusqu’au stade de l’acceptation, sous peine, bien souvent, de l’entraîner dans une mort psychique avant l’heure. En ne désavouant pas le déni et plus largement tous les mécanismes de défense, cette éthique se contente plutôt de « suivre le rapport naturel et spontané du sujet à sa mort » [6]. Le modèle de l’Eloge de la Tranquillité donne une véritable place au Sujet contradictoire et à l’ambivalence constitutive de la vie psychique. Le parti pris est alors de soutenir l’oscillation de la parole [7], autant qu’il est possible de le faire…


Bibliographie

[1] BUSH SH. & All. (2017). Clinical Assessment and Management of Delirium in the Palliative Care Setting, in Drugs, Oct, 77 (15), 1623-1643.
[2] MORITA T & All. (2001). « Underlying pathologies and their associations with clinical features in terminal delirium of cancer patients », in J Pain symptom Manag, 22, 997-1006.
[3] KÜBLER-ROSS, E. (1969). Les derniers instants de la vie. Genève, Labor et Fides.
[4] DAVID, Ch. (1996). Le deuil de soi-même, Monographie de la revue française de psychanalyse, LX (1), Paris, PUF, p. 15-32.
[5] ALRIC, J, (2015). "Eloge de la tranquillité. Soins palliatifs et deuil du deuil de soi-même », dans « Rester vivant avec la maladie. Clinique psychanalytique en cancérologie et en soins palliatifs", Collectif d'auteurs, Erès, coll. L'Ailleurs du corps.
[6] FREUD, S. (1915). Considérations actuelles sur la guerre et la mort, dans Essais de psychanalyse. Paris : PBP, 1971, p. 235-267.
[7] ALRIC, J. (2016). « Fin de vie et Psychanalyse. Menace de disparition et Relance désirante ». Montpellier : Sauramps Médical.