Affiche Horiz Programme


Le passage du curatif au palliatif

DSC 6722

par Philippe Cobut

Philippe Cobut est médecin au CHR Sambre et Meuse et médecin référent au sein de l'équipe de soutien de l'ASPPN.

Contenu :

Souvent c’est la dégradation rapide et dramatique du patient qui impose son passage du curatif au palliatif. L’évidence assure alors la validité du choix. Parfois, au contraire, la décision de dégrader le statut du patient s’avère plus difficile à prendre. Il faut alors peser, en connaissance et conscience, des arguments contradictoires, choisir d’y croire…ou renoncer. Un choix difficile, un choix pour l’autre.

Définir le patient palliatif ne peut se réduire à l’interrogation mathématique de critères ou d’algorithmes, si pédagogiques puissent-être ces grilles d’évaluation bien utiles aux médecins peu sensibilisés à la fin de vie.
L’extrême individualité de la résistance physique et des réponses thérapeutiques, la volonté de survivre qui est propre à chacun, le développement des soins supportifs oncologiques, la « chronicisation » de certains cancers, mais aussi la part irréductible laissée à la chance… et à la malchance, sont autant d’éléments en appelant à notre prudence et à notre humilité.
Le territoire des soins palliatifs cartographie des provinces aux limites souvent floues et qui n’ont en commun que l’irréversibilité de la maladie et l’incertitude du « quand ? ». Aussi, le praticien craint-il de se tromper. Il s’interroge. D’un côté, le risque de précipiter prématurément malade et famille dans l’anticipation du deuil. De l’autre, la tentation de l’acharnement thérapeutique qui privera le malade de son unique et ultime richesse : l’espace-temps nécessaire à tâcher de comprendre et partager ce qui advient.
La « requalification » palliative, si traumatique qu’elle soit pour le malade et ses proches, n’épargne pas non plus le médecin, questionné qu’il est par cette transmutation de paradigme thérapeutique. Confronté à l’angoisse de sa propre mort, questionné dans ses valeurs, il offre aux tourments de l’âme un combustible facile. Le regard qu’il pose sur son patient se modifie, se voile, inexorablement, et ce dès l’incurabilité acquise et nommée.  Cet échange asymétrique est douloureux.  A chacun de réagir alors, à sa façon. Pour le meilleur, souvent. Pour le pire parfois, si peu professionnellement.

Pour certains, il s’agira de comportements d’évitement, d’abandon, de fuite en avant pour en finir au plus vite, aux limites de la légalité, parfois. Pour d’autres, cadenassés par le manque de courage, de lucidité ou l’opacité du déni, à moins que ce ne soit par simple peur de peiner, ce sera la voie de l’indécision, de la procrastination ou de l’obstination déraisonnable.

Nous ne jugerons pas.